Le business de la guitare électrique - encore plus que pour n'importe quel autre instrument - est un business d'endorsement. Lorsque nous commençons à jouer, nous le faisons grâce au jeu d'un groupe ou musicien bien précis. Lorsque nous cherchons à faire avancer notre jeu, nous nous penchons sur les plans d'un tel ou une telle. Et lorsque nous nous posons la question du son que nous cherchons à obtenir, nous avons forcément une (ou plusieurs) référence(s) discographique(s) en tête. Imaginons que je suis un guitariste dans les années 80. Je tombe amoureux du son de Led Zep, je vois que le guitariste s'appelle Jimmy Page, et je le vois dans mon magazine de guitare, une Roland en bandoulière : Le court-circuit pour atteindre le son de mon idole n'a jamais été aussi simple, puisque lui-même donne directement le secret du son incroyable que j'entends sur les disques. Tout mauvais esprit mis de côté, nous ne créons jamais ex-nihilo, et à ce titre il est donc logique de s'inspirer du matos de ses mentors afin d'arriver à ses propres conclusions. Après tout, Clapton lui-même est arrivé à la Les Paul en voulant imiter Freddie King, et l'admiration de Hendrix pour Buddy Guy n'est sans doute pas étrangère à son choix de la Strat.
Dans ce contexte, l'industrie de la guitare électrique a bien compris l'intérêt qu'elle avait à associer n'importe quel produit à un nom connu, jusqu'aux pédales, sangles, médiators et jacks décorés par leur signature. Une marque comme Ibanez a entièrement construit sa réputation autour de quelques modèles "signature" judicieusement choisi, et en endorsant systématiquement les étoiles montantes des styles en vogue. Pourtant, malgré l'importance et le côté omniprésent de ce procédé, les guitaristes en savent peu sur le système des endorsements, ce qui leur permet bien entendu d'imaginer toutes sortes de conspirations plus ou moins occulte. Il faut dire que la vue de Brad Whitford avec une BC Rich a de quoi faire douter de la sincérité du partenariat, tout autant que ses pubs récentes pour D'Angelico, comme s'il jouait sur autre chose que des Strats et des Les Paul... Bref, je me suis dit qu'il était temps de commettre une bafouille sur le sujet, en tentant de clarifier les choses tant bien que mal. Ayant moi-même été endorsé à plusieurs reprises, je pense avoir une vision pas si délirante de la chose.
Le simple partenariat
Un endorsement est bien sûr un rapport de force, dans lequel se pose la question de l'équilibre d'exposition entre la marque et l'endorsé. Si le guitariste est inconnu et la marque célèbre, il a tout à y gagner et peut donc accepter un deal "pour la gloire". Si la marque galère et que le guitariste a le vent en poupe, c'est elle qui devra faire un effort financier suffisamment conséquent pour l'intéresser. Si les deux sont également connus, cela devient une pure affaire d'affinité personnelle et d'échange d'intérêts bien compris. Plusieurs types de deals peuvent être envisagés : dans le cas le plus basique (celui qui engage le moins la marque), l'artiste bénéficie de réductions sur de l'achat de matériel. Pour la marque, ça ne représente pas un grand sacrifice, surtout qu'en général la réduction correspond peu ou prou à la marge qu'ils laissent au magasin, donc au final leur marge sur la vente reste la même. Dans un cas plus poussé, la marque peut mettre des instruments à disposition du musicien en prêt. Ce deal est plus contraignant pour elle puisqu'elle doit avoir du stock immobilisé et doit gérer ce parc pour ne pas perdre de vue les instruments prêtés. Souvent, ces instruments sont proposés aux artistes à un prix sacrifié après plusieurs mois d'utilisation. Personnellement, ce deal m'a toujours mis mal à l'aise puisque je n'aime pas jouer sur un instrument qui n'est pas le mien, je ne me sens pas à l'aise pour lui faire les pains qui peuplent généralement mon matos. Mais dans le cas d'une grosse tournée où les musiciens ne sont pas censés s'attacher à leurs outils, ce genre de partenariat a vraiment du sens. Imaginons par exemple que vous accompagnez Lara Fabian (tant pis pour vous) et que vous avez besoin d'une 12 cordes sur un titre, c'est bien sympa si vous n'avez pas à investir pour trois accords balayés sur une Takamine electro. Enfin, le deal d'enfer c'est quand la marque donne les instruments à l'artiste. Pour justifier d'un investissement pareil, il faut bien sûr que le rapport de pouvoir soit clairement en faveur de l'artiste. Mais comme toujours et comme le disait si bien "you don't get something for nothing", ou en langage internet, "si c'est gratuit, le produit c'est vous". Autrement dit, un endorsement engage l'endorsé. Souvent, le deal est informel, il exige une certaine exclusivité (en gros toutes les photos et vidéos officielles doivent montrer l'artiste avec un produit de la marque et surtout pas d'une autre marque) et peut aussi exiger des outils promotionnels, qu'il s'agisse de vidéos de démo ou de photos posées qui peuvent être utilisées sur le site internet et les réseaux sociaux de la marque. Lorsque le contrat est formel, il précise généralement une durée d'engagement renouvelable.
L'Ambassadeur
L'ambassadeur s'engage encore plus que le simple partenaire, puisqu'en général il associe son image à celle de la marque. Dans le cas d'une marque inconnue, l'ambassadeur a pour mission de prêcher la bonne parole et de faire grandir la réputation de la marque en la faisant profiter de sa réputation et de son réseau. Dans le cas d'une marque plus connue, l'ambassadeur défend les nouveaux produits de la marque et leur apporte une crédibilité. Dans le meilleur des cas, l'image de l'artiste correspond parfaitement à l'image de la gamme ou de la marque, et les deux s'entretiennent mutuellement. Un exemple : la marque Golender lance une série de guitares spéciales pour la polka alors qu'ils étaient jusque là réputés par le death metal. Ils proposent alors à la star de la polka Weird Al d'être l'ambassadeur de cette nouvelle série afin de montrer qu'ils savent exactement de quoi ils parlent. Ce rôle d'ambassadeur se faisait traditionnellement par des pubs dans les magazines, et se fait désormais par des vidéos qui sont diffusées sur les réseaux sociaux. Par ailleurs, un ambassadeur est aussi celui qui joue les instruments dans les salons (NAMM surtout, puisque les démos au Musikmesse se font bien rares), voire à l'occasion de tournées de masterclasses et clinics en magasin ou écoles organisées par la marque. Pour l'artiste, ces clinics sont payées et peuvent représenter un apport non négligeable en parallèle de leurs vies musicales. Certains artistes sont même plus démonstrateurs que musiciens.
Le modèle signature
Il s'agit bien sûr de la forme la plus "visible" d'endorsement, et là encore il y a plein de manières de le faire. Il peut s'agit d'une édition limitée qui n'engage pas à grand chose (la 335 J.D. Simo de Gibson à 25 exemplaires), ou à l'inverse d'un modèle qui rejoint la gamme de façon durable, quitte à connaître des déclinaisons (la Steve Morse chez Musicman). Il peut s'agir d'un modèle ultra précis conçu selon les moindres désirs de l'artiste, développé avec amour des années durant, ou bien une simple déclinaison d'un modèle existant avec une nouvelle couleur ou un logo de groupe apposé. Le modèle signature est une manière d'officialiser la relation entre marque et artiste, un excellent outil marketing pour le marque et une belle source de légitimité pour l'artiste. En général, ce dernier touche des royalties sur les ventes de son modèle, et il dispose bien sûr d'un ou plusieurs exemplaires gratuits. Certaines marques qui ont poussé très loin les modèles signature ont des Custom Shop spéciaux pour réaliser les exemplaires de leurs artistes, comme Ibanez ou ESP qui a son atelier américain pour fabriquer les modèles de ses nombreux endorsés californiens.
Le collectionneur
Certains collectionnent les endorsements, au point qu'ils perdent leur sens. Il y a des collectionneurs qui passent d'une marque à l'autre sans véritable cohérence, que l'on voit chez Taylor une année, puis chez Guild, puis chez Godin, et ainsi de suite. Dans ces cas-là, le public se doute bien que ces changements sont bien plus dus à des désagréments de business qu'à la qualité des instruments et ce en quoi ils s'intègrent à sa démarche artistique. Il y aussi le cas, sans doute moins préjudiciable, des artistes qui ont un endorsement différent pour chaque élément de leur matos : les sangles machins, les câbles truc, les médiators schmurz, les cordes lalali et ainsi de suite. Il s'agit tout simplement d'une bonne manière de ne pas mettre tout ses œufs dans le même panier au cas où une des marques viendrait à disparaître, connaîtrait un changement d'équipe (et bien sûr c'est toujours votre contact qui part !) ou en venait tout simplement à se désintéresser du partenariat.
La marque développée par X
Il s'agit bien sûr du stade ultime ! La plupart des créateurs de marque sont des musiciens, mais je fais ici allusion à des entreprises montées par des rock stars, des gens qui nous font rêver et décident de superviser une production de suffisamment près pour oser mettre leur nom sur les cartons. Dans ce cas, il y a moins d'intermédiaires que pour un modèle signature, ce qui se traduit financièrement par des royalties plus élevés, mais le marque ne bénéficie pas de la puissance marketing d'une grosse entreprise existante (hors partenariat plus ou moins assumé), elle repose donc uniquement sur la renommée de l'artiste. Ce dernier doit donc jouer le jeu, se faire voir aux shows (NAMM encore et toujours) et être disponible pour des interviews au cours desquelles il défendra son bifteck. Pour les artistes créatifs, c'est aussi un bon moyen de développer plusieurs modèles en fonction de ses envies esthético-musicales. L'exemple le plus célèbre est bien sûr la marque de Eddie Van Halen, EVH, qui produit aussi bien des guitares que des amplis, mais c'est un exemple un peu particulier en cela qu'il s'agit d'une marque du groupe Fender et que Eddie bénéficie donc du réseau du géant californien. Il y a aussi Brian May Guitars, les basses de Flea et Marcus Miller ou encore les Slick Guitars de Earl Slick, développées avec le site de vente Guitar Fetish.
Le mot de la fin
Les partenariats entre marques et artistes sont un business énorme, et les deux ont tout à gagner à se prêter à cette tradition déjà ancienne (Gibson Nick Lucas puis Les Paul !). Si vous voulez vous lancer en tant qu'artiste, gardez en tête que vous vous engagez auprès de la marque : ça n'est pas qu'une manière d'avoir du matériel pas cher, c'est un choix de ne jouer que sur certains instruments, et le choix d'attacher votre image à celle d'une marque. Faîtes donc en sorte que ce choix soit sincère et pas uniquement calculé en termes d'intérêt marketing. Côté marque, la même remarque s'applique : choisissez vos endorsés de façon cohérente et privilégiez des guitaristes moins connus et enthousiastes plutôt que des têtes d'affiches qui n'auront pas envie de défendre vos couleurs. Let's go!
excellent :)
ReplyDeletemerci !
DeleteMerci beaucoup sujets très complet. on apprend beaucoup sur un domaine dont personne ne parle. Petite question tu veux pas m'endorser toi? Lol
ReplyDeleteavec plaisir !
DeleteSuper article. Un luthier me racontait récemment l'endorsement des Black Crows par Marshall alors qu'ils jouaient sur des amplis Orange. Ce luthier de passage au Custom Shop orange à Londres a pu voir des châssis Marshall vides montés avec l'électronique Orange car les Black Crows ne retrouvaient pas leur son sur Marshall. Donc ne pas oublier le chapitre L'imposteur.
ReplyDeleteSuper blog
Anthony
Effectivement ça arrive aussi, mais vu la tendance des guitaristes à la paranoïa je ne voulais pas encourager ça !
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