Monday, November 20, 2017

Hommage à Malcolm Young

(photos empruntées à l'excellent Olivier Ducruix)
Ceux d'entre vous qui me connaissent un peu savent qu'AC/DC est MON groupe, celui par lequel tout est arrivé. J'avais 10 ans, et un ami m'a fait découvrir Highway To Hell. Quelques jours plus tard, j'achetais l'album en K7 avec mon argent de poche à la FNAC de Nîmes. Quelques mois plus tard, c'était mon anniversaire et j'ai reçu une copie de Strato avec le songbook de AC/DC Live (le Live de 92, du coup le songbook était une sorte de best of), et j'ai appris à jouer Thunderstruck avant de savoir former un barré. Angus est bien sûr celui par lequel tout est arrivé, tant dans son attitude scénique qui a fait exploser mon cerveau de pré-adolescent que dans ses notes, brillantes, légères et électriques.
Mais plus j'avançais dans ma compréhension du groupe de la guitare et de la musique en général, plus Malcolm est devenu mon vrai héros. J'ai vite réalisé, notamment grâce aux articles de Phil Lageat dans Hard Rock Magazine, à quel point l'homme à la Gretsch était le véritable architecte du son AC/DC, un pilier rythmique indéboulonnable autour duquel son frère pouvait virevolter en toute liberté, et un compositeur de riffs avec qui seuls Keith et Hetfield pouvaient rivaliser.

Dur comme un roc
Plus j'ai progressé à la guitare, plus j'ai avancé en tant qu'artiste, que compositeur et que théoricien du rock, plus les exploits de Malcolm m'ont paru gigantesques. Beaucoup de guitaristes parviennent à singer les Richards et James cités plus haut, mais personne n'approche de Malcolm de façon convaincante. Lorsqu'un groupe reprend du AC/DC, c'est généralement une catastrophe. Tout le monde s'accorde avec une condescendance entendue sur l'idée que ces morceaux sont "faciles", jusqu'à ce qu'ils se cassent le nez sur l'accompagnement de Thunderstruck, un seul power chord de Si martelé avec un groove inimitable.

Le jeu de Mal
Le jeu de Malcolm est unique à plusieurs titres. Tout commence dans sa main droite, la plus belle du genre, qui attaque avec beaucoup plus de finesse qu'on ne l'imagine. Bien sûr, la patte de l'ours sort quand il le faut, mais il est aussi capable de gratter plus légèrement. Aucun aller n'est un aller par hasard, aucun retour n'est un retour par hasard. La durée de chaque note est savamment étudiée (écoutez à ce titre Girls Got Rhythm et la façon dont la durée des deux premiers accords change selon que le riff sert d'intro, de refrain ou de couplet). Les voicings d'accords sont eux aussi savamment choisis, toujours complémentaires de ceux d'Angus, avec un son bien particulier et très loin des automatismes du genre (pas toujours évidents à jouer d'ailleurs, pas toujours logiques dans leur enchaînement).

Le matos de Mal
Il y avait le matos bien sûr, cette indétrônable Gretsch Jet Firebird Red réduite à sa plus simple expression (bois poncé, trou dans la table où se trouvaient les micros manche et milieu) avec un jeu de corde costaud (12-56) qui n'était pas là que pour la frime, bien au contraire : sans la contrainte du jeu lead et de ses bends, ce tirant correspond bien mieux à une exigence de justesse et de robustesse sonore qui semblait importante à ses oreilles. Jamais de pédales ou de gadget, un simple Plexi poussé mais pas trop. Le son de Malcolm est très proche d'un son clair, et le tout petit niveau de sortie du humbucker Gretsch est pour beaucoup dans cette clarté. Le crunch vient uniquement de la puissance de l'attaque, et il se mérite.

La leçon
Mais la plus grande leçon que l'on puisse retenir du jeu de Malcolm, et celle dont on peut le plus facilement s'inspirer nous pauvres mortels qui n'auront jamais son groove dans notre coup de plectre, est sa classe absolue. Malcolm était un homme discret, effacé, et ne faisait du bruit que quand il le fallait. Au sein du groupe, il était capable de passer les trois quarts d'une chanson à attendre que sa contribution soit nécessaire : je parle bien sûr de Highway To Hell, sur lequel il ne joue que pendant le refrain et le solo, en soutien, sans égo. Desproges citait un dicton écossais disant "un gentleman est quelqu'un qui sait jouer de la cornemuse et qui n'en joue pas". De l'aveu de son frère Angus, Malcolm était un excellent guitariste lead, mais il ne nous a jamais donné l'occasion de le constater, puisque le groupe n'en avait pas besoin.

Le pont
Malcolm, qui ne jouait déjà plus dans le groupe depuis 2014, est mort le 18 novembre 2017. Je me suis surpris à être beaucoup plus affecté que je n'aurais pu m'y attendre. J'ai eu l'impression de perdre une partie de ce qui m'a construit. C'est bête, je ne l'avais jamais rencontré, tout au plus croisé, et nous n'aurions probablement pas eu grand chose à nous dire.
En lisant les différents hommages rendus par la communauté musicienne, je crois que j'ai compris : Malcolm était le pont, le plus petit dénominateur commun, le point de rencontre entre toutes les musiques qui me touchent. Tom Petty était fan d'AC/DC, Dave Mustaine est fan d'AC/DC, Frank Zappa était fan d'AC/DC. Malgré leur diversité apparente, tous ces génies ont vu en AC/DC l'essence même du rock, l'expression la plus évidente de ce qui nous excite dans cette musique. Et tout ça a été construit grâce à Malcolm. Merci.