Wednesday, January 13, 2016

À la recherche de la SG Junior idéale (par Mathieu Albiac)

Aujourd'hui, Guitare Obsession ouvre ses colonnes à d'autres plumes que celle de votre serviteur (Julien Bitoun pour ceux qui ne suivaient pas). L'excellent guitariste Mathieu Albiac a écrit pour vous ce papier sur sa recherche de la SG Junior philosophale, et si vous avez aussi des choses à dire sur ce blog ma boîte mail vous est ouverte. Sans plus attendre, voici la recherche de la SG Junior idéale !

Powerage, Back in Black, Stiff Upper Lip : en bon fan d'AC/DC, la SG a toujours été pour moi un gros péché mignon ; ma guitare de prédilection. J'ai commencé avec un ersatz de Gibson ; une LTD Viper 100, attachante mais peu bandante, avant de goûter aux joies de la marque américaine. D'abord une 61 Reissue Sapphire Blue, excentrique, singulière et motivante ; un joli bout de bois bleu qui vibre dans la main. Puis une Standard VOS, légère, résonnante, avec l'acajou le plus sexy du monde. Mais malgré une satisfaction quasi-totale, le désir de sauvagerie guitaristique s'est fait de plus en plus grand ; quelque chose en moi voulait grogner, mordre, et bouffer la main des joueurs de Strat. Je voulais une SG Junior.

Il y a 10 ou 15 ans, ça aurait été simple pour un gars jeune et fauché de trouver la Junior de ses rêves pour 800 ou 1000 euros. A l'époque, sur eBay ou sur le marché de l'occasion, ces guitares n'avaient pas de réel prestige, de réelle cote, et se négociaient pour quelques cacahuètes ; 1500 euros étaient presque excessifs pour un modèle mint (et je parle bien des Junior kalamaziennes des années 60).
C'est vers 2010 que le marché du vintage s'est considérablement développé, attirant énormément de demandes, pour relativement peu d'offres. Résultat : la cote a explosé. Actuellement, les modèles d'époque se vendent entre 3000 et 4000 euros, quand ce n'est pas plus, face à une guitare particulièrement clean, ou en fonction de l'année (61 et 62 étant les millésimes les plus cotés).
Une solution ? Oui, vous pouvez regarder sur les sites d'annonces américains. Là-bas, les SG Junior sont évidemment bien plus communes sur le marché de l'occasion et peuvent encore se trouver parfois à des prix raisonnables : 1600 ou 1800 dollars. Sauf que si vous rajoutez à cela les taxes d'importation (TVA + frais de douane + frais de port), vous comprenez vite que le jeu n'en vaut pas la chandelle : vous payerez quasiment le prix « européen » d'une Junior, tout en prenant le risque de recevoir une guitare cassée en deux.

L'idéal pour moi a donc été d'attendre patiemment pendant plusieurs années une hypothétique très bonne affaire. C'est risqué et un peu débile, mais quand on n'a pas le portefeuille de Picsou, on se galvanise à l'espoir et au fantasme... Jusqu'au jour où ça paye.

Un soir en rentrant de concert, j'ai comme tous les jours ouvert Leboncoin, et je suis tombé sur ce qui pouvait très bien être la guitare de ma vie. Une Gibson SG Junior de 1961. Elle n'était pas donnée, mais sa tête recollée et ses petites blessures de guerre m'ont permis de la négocier jusqu'à atteindre un prix presque pas astronomique pour un étudiant sans-le-sou.

Après de nombreuses péripéties (vendeur qui s'agace de mes questions / vendeur qui ne se déplace plus / vendeur qui ne veut plus vendre), le 8 octobre 2015, je finis par toucher mon rêve du doigt.

Voici ce que le jeune con exalté que je suis a écrit après avoir récupéré cette magnifique gratte :

Aujourd'hui j'ai recueilli une femme battue. Elle a 53 ans, et quelques vergetures. Son vernis est écaillé, elle a une cicatrice le long du cou, mais elle est aussi belle qu'au premier jour. Elle a le teint bien rouge, des courbes sexy et un poids plume. Sa voix est douce, vibrante, prenante, planante, mais elle gueule pour pas grand chose. Elle aime sortir, elle aime voir du monde. Elle aime les caresses, sur le corps et la tête. Elle aime quand je la fais vibrer et elle me le rend bien.  Elle me rend fou et elle ne demande rien.
Bref, depuis aujourd'hui : j'ai une deuxième amoureuse.

Quelques mois plus tard, le frisson est toujours présent, et il est temps de parler un peu plus de la bête ! C'est parti pour un petit passage en revue de ma Junior.

- Première remarque, après quelques recherches, aidé du numéro de série : contrairement à ce qui était annoncé, la guitare n'est pas de 61 mais de début 62 (m'en fous).

- Elle a eu, comme la plupart des SG des années 60, une réparation au niveau de la tête de manche, sauf qu'ici, la tête n'a jamais été cassée en deux ; il y a seulement eu une fissure qui a été refixée proprement. La réparation est parfaitement stable, et en plus elle donne du vécu à cette vieille madame !

- Côté mécaniques, les petites Kluson sont étonnamment fiables et robustes. C'est simple : cette Junior tient mieux l'accord que toutes mes autres SG. L'accordage ne bouge presque pas, comme si tout était parfaitement équilibré.

- L'électronique et le P90 format Dog Ear sont 100% d'origine. Les boutons sont extrêmement propres et très peu effacés. Au dos, la plaque de la cavité électronique est toute petite, toute mignonne ; c'est à partir de 1965 que Gibson va creuser des cavités beaucoup plus grandes, pour des raisons économiques.


- Le vernis a vieilli magnifiquement sur toute la surface de la guitare. Je rêvais d'une Junior bien craquelée, bien patinée, et celle-ci est juste splendide. Elle fait partie du tout petit nombre de SG qui ont des craquelures verticales ; 98% du temps, les craquelures sont horizontales sur les guitares solid-body (sur les hollow-body, il est un peu plus courant de trouver des craquelures verticales). Quoi qu'il en soit, sur une Junior, c'est inédit ! Il y a cependant aussi pas mal de craquelures horizontales, mais visibles seulement sous certains angles et sous certaines lumières. C'est simple, je la redécouvre constamment en fonction de l’œil que je pose sur elle.


- Le corps est en acajou du Honduras avec un grain uniforme et régulier, en une partie (les corps en plusieurs parties apparaîtront chez Gibson à partir de 66, même si cela restera rare). La guitare entière est ridiculement légère : 2,6 kilos à la pesée. Ceci explique pourquoi le son à vide est juste démentiel.

- Elle est dotée du fameux logo « Les Paul » parce que, comme vous le savez, la SG ne s'est appelée « SG » qu'à partir de mi-63. En 61, 62 et début-63, nous avions affaire à une Les Paul Junior. C'est à partir de mi-63 que l'on passe à une tête plus sobre, avec seulement le logo Gibson (ce qui est forcément plus moche).


- Le pickguard est fixé au corps par 8 vis. En 1961, les Junior n'en avaient que 7, mais pour plus de stabilité, Gibson a vite décidé de monter des pickguards avec 8 vis, notamment parce que le bakélite (matière qui composait les plaques de protection) avait tendance à se rétracter et se gondoler. D'ailleurs, l'ancien propriétaire de ma Junior a eu la bonne idée de retirer le pickguard d'origine (légèrement gondolé mais pas cassé) et de le remplacer par une réplique en plastique de chez Jeannie Pickguards : il n'est pas parfaitement identique, il est un peu plus pointu, mais au moins il ne craint rien (et puis, si je veux jouer au snob fétichiste des instruments vintage, je peux toujours remettre l'ancien et me la péter).
Pour information, le « petit » pickguard n'est présent que jusqu'en 1966. Courant-66, il est remplacé par un pickguard dit « batwing », plus standard (et forcément plus moche).


- La touche de ma guitare est particulièrement singulière : on peut voir une délimitation nette entre une partie claire et une partie plus foncée, au niveau de la jonction avec le corps. La touche est faite en palissandre de Rio (aux jolis reflets rougeâtres) comme c'était le cas jusqu'en 63/64. Elle est dense, assez peu poreuse et belle à croquer (même si je ne m'y risquerais pas).



- Le manche est fin et très confortable : beaucoup moins épais et typé « bûche » que les modèles de 64 à 66 (qui ont pas mal de charme, eux-aussi).

- Ma SG est équipée d'un chevalet dit « angled-bridge ». De 61 à mi-62, Gibson montait sur ses Junior des chevalets non-compensés (lisses) avec une pose en biais qui permettait de donner une intonation relativement juste à l'instrument. Ce chevalet a l'avantage d'avoir une grande résonance ainsi que beaucoup de mordant et de sustain naturel.
A partir de mi-62, Gibson montera des chevalets dits "compensated", avec des encoches pour chaque corde, permettant de laisser le chevalet parallèle au micro (ce qui est forcément beaucoup moins sexy). Ces encoches étaient faites pour les cordes de sol filées, ce qui a donc créé de nombreux soucis d'intonation dans le futur pour les guitaristes jouant avec un sol non filé.
La plupart des SG Junior de 63, 64, 65, 66 vendues maintenant d'occasion sont montées avec des chevalets à intonation réglable (Badass, Tonepros), ou bien avec des copies du wraparound d'origine, mais avec l'encoche de la corde de sol déplacée, pour une bonne intonation.
Précision : le côté anarchique et "imparfait" de Gibson fait qu'il est possible de trouver certaines SG Junior avec un chevalet exagérément incliné, ou au contraire trop peu incliné, que ce soit en 61, 62, ou même plus tard. La mienne, par exemple, a un angled-bridge légèrement moins prononcé que ceux de certaines 61. Du point de vue de la justesse, j'ai eu de la chance : avec un tirant de cordes en 11-48, elle sonne parfaitement juste.

angled et compensated

- Pour ce qui est du son, je ne vais pas y aller par 4 chemins : le P90 est clairement ce qu'il me manquait. C'est mordant, c'est réactif, c'est chaleureux, c'est ouvert, c'est moelleux, c'est punchy. Pour la première fois de ma vie, j'ai compris que la tonalité était un réglage utilisable et même jouissif, permettant d'obtenir des sons très polyvalents, du Woman Tone de Clapton au classique micro manche, pour peu qu'on peaufine au potard de volume.


Quelle conclusion tirer de tout cela ? La SG Junior est un peu la guitare ultime : simple, épurée, agressive et nerveuse. Quand je joue, j'aime sentir que je dois dompter mon instrument, que je peux et que je dois lui rentrer dedans pour en tirer le meilleur : c'est ce qui me plaît avec cette guitare. Au fond, cette Junior est comme un cheval sauvage à monter sans selle ; un soutien permanent, une partenaire idéale. Je ne sais pas si celle-ci sera un jour aussi connue que la Junior de Bertignac, mais ce qui est sur c'est que, comme lui, je vais passer ma vie sur cette gratte.

Si cet article a pu vous faire office de « petit guide d'achat (pas objectif) de la SG Junior », j'en suis ravi. J'espère que, comme moi, vous aurez la chance de mettre la main sur une de ces mojo-machines. Donnez-leur de l'amour : elles vous le rendront.

Thursday, January 7, 2016

Obsédé de Universal Audio

J'ai toujours aimé la MAO (musique assistée par ordinateur pour les intimes). D'ailleurs, ayant la trentaine, j'ai un peu grandi avec. En tout cas j'ai assisté à la révolution du home studio démocratique. Beaucoup de gens me voient comme un ayatollah du vintage sous prétexte que j'aime le beau matos mais la modernité qui sonne m'intéresse tout autant, sinon plus. Tout a commencé avec Cakewalk sur un pécé poussif, une Soundblaster Live pour mon quatorzième noël (ou quelque chose dans le genre) avec le Marshall JMP1 puis un POD en direct dedans. Puis un Mac (la révélation !) avec une carte son M Audio Firewire 1814 et Cubase. Puis le passage sous Pro Tools (encore une révélation !), puis une petite Focusrite Scarlett 2I2, puis une Universal Audio UAD 2 Duo Satellite. C'est par cette dernière petite boîte que j'ai fait la connaissance des plug ins Universal Audio, qui sont à l'heure actuelle reconnus et sollicités de manière unanime par les pros et les amateurs éclairés. La raison est simple : leurs plugs sonnent effectivement comme les machins qu'ils émulent, et les réglages se comportent comme des vrais (autrement dit : quand on tourne un bouton, ça fait comme tourner un bouton dans la vraie vie). Le seul hic : les plug ins UAD (Universal Audio Digital donc) ne tournent que sur leur hardware, c'est-à-dire que sans la carte de chez eux, ça ne marche pas. Il faut donc s'équiper, mais du coup l'avantage est que c'est le processeur de la carte qui fait tourner les plugs, un bon moyen pour soulager les ressources de l'ordi donc.
Convaincu par mon expérience avec la Satellite, j'ai finalement craqué pour la Apollo Twin une semaine après l'avoir admirée sur le stand de la marque au NAMM. Déjà, cette petite carte son est très belle, et c'est un argument (je suis superficiel et j'assume parfaitement). Mais surtout, en plus d'une qualité de conversion largement supérieure à mon ancienne Focusrite, la Apollo permet d'utiliser des plug ins à la prise. Je m'explique : en général, vu qu'un plug prend de la ressource, il faut un petit temps de calcul, et lorsqu'on enregistre ce temps de calcul amène une latence très désagréable qui fait que l'on utilise généralement les plugs au moment du mix uniquement. Mais la Apollo a donc un processeur suffisamment balèze pour empiler du compresseur et de la reverb sur vos prises de chant en même temps que le chanteur enregistre (quitte à ne pas garder ces effets sur la prise, juste pour que le chanteur soit à l'aise en ayant l'impression de chanter dans une cathédrale), et le principe s'applique donc aussi à la guitare : on se branche directement dans l'entrée haute impédance prévue à cet effet à l'avant de la bête, on choisit son ampli virtuel et on peut enregistrer avec un son de Marshall sans latence perceptible sans aucun préampli extérieur. C'est bluffant, et surtout ça libère énormément... Petit bémol là encore : il faut acheter ces différents amplis virtuels, et l'addition peut devenir salée si l'on se met en tête de les collectionner. Mais le magasin en ligne de UAD fait très régulièrement des promos, donc l'un dans l'autre on finit par s'y retrouver...
J'ai commencé mon exploration des amplis UAD avec Vintage Amp Room qui m'avait convaincu mais m'avait laissé un goût de trop peu. C'était réaliste, mais pas non plus le jour et la nuit par rapport à Eleven (le plug in d'ampli de Avid) ou au Sansamp version plug. Et puis ils ont sorti la version plug in du Chandler GAV19T, qui est en plus un ampli qui m'avait méchamment fait de l’œil dans la vraie vie. Sa version virtuelle a été la base de son de mes démos et overdubs pendant une année entière, et je continue de m'en servir très régulièrement. C'est simple à régler et ça sonne de manière ultra naturelle et dynamique, sans agressivité ridicule ni compression exagérée. Et puis ça ne s'est plus arrêté : il y a eu les deux têtes Friedman BE100 et DS40, les pédales Tube Screamer, Rat et Big Muff, puis enfin le partenariat avec Marshall. Le choix de Friedman est loin d'être anodin : ça n'est pas une marque si connue que ça mais elle a une crédibilité énorme auprès de ceux qui savent, et il s'agit donc d'un très clair appel du pied aux guitar geeks que nous sommes. Le partenariat avec Marshall quant à lui permet enfin d'appeler un chat un chat et d'ouvrir un plug in qui s'appelle Marshall Plexi Super Lead 1959 plutôt qu'une vague évocation du genre "British Rock Legend Amp". Le Plexi était le premier, mais récemment deux autres modèles légendaires de la maison britannique ont suivi : le Silver Jubilee et le Bluesbreaker. Le fameux combo 1962, ainsi surnommé puisqu'il est la base du son du jeune Eric Clapton sur l'album de John Mayall and the Bluesbreakers (1966), fait donc l'objet de cette première vidéo faîte en partenariat avec Universal Audio. Il y en aura bien d'autres, à commencer par les autres Marshall, ainsi que quelques nouveautés testées au fur et à mesure de leur sortie et dont la nature devrait nous être révélée sous peu au NAMM... J'espère que ça vous plaira !